Camille Lemonnier - Un mâle

Publié le par Jonathan

(...) Un rayon de lune bleuissait les vitres de sa chambre, tandis que, caché derrière la haie, il ruminait ses idées. C'était là qu'elle dormait, là qu'elle reposait demi-nue ; et il se figurait son corps superbe couché dans la tiédeur des draps, avec l'écrasis lourd de ses seins. Un goût de volupté ardente fit bouillir son sang ; le coeur lui monta à la gorge, dans un spasme, il rêva de monter jusqu'à elle, de lui coller sa bouche aux dents, et l'instant d'après, de lui plonger un couteau dans le coeur. (...)

La voir ! Tout était là ! Petit à petit une idée germa en lui, qui finit par le talonner d'une impatience fébrile. Il ne pensait plus qu'à cela, à présent ; c'était comme une envie furieuse qui le rongeait.Il s'agitait à terre comme un animal blessé, frappant le sol de ses mains, injuriant le jour qui tardait à décroître, plein de mépris pour les gloires du soleil. C'est que son idée, pour se réaliser, et il supputait les heures, comme le criminel qui guette l'approche des ombres, accélérant de son désir le moment du meurtre. Toute sa violence se réveillait devant cette obstination de la lumière à s'alentir sur les pentes du ciel. Il en voulait à Dieu de faire si tardifs ses crépuscules. Le soir tomba enfin. (...) Les vapeurs violettes du couchant lentement se dissolvaient dans le bleuissement accru de la lune. Un fleuve de clartés pâles s'épanchait par les chemins, noyant dans leurs ondes la rondeur des arbres. (...)

Un immense ciel argenté s'appuyait sur la plaine, troué par les étoiles. Les moissons, sous la paix lunaire, ressemblaient à la nappe immobile d'un lac. Il vit luisarner dans la profondeur, par-dessus le déroulement des bois, la crête d'un toit d'ardoises, et, subitement ému, presque défaillant, il s'assit, regarda longuement le toit et la maison. Sa poitrine était battue de larges secousses. Il se disait qu'après tout, sa vie était là, sous ce toit. Aller jusqu'à Germaine, passer la nuit à deux, la tenir dans ses bras, comme au bon temps, que lui importait le reste, c'est-à-dire les gardes, les coups de feu, la mort?

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C
Comme quoi on peut être poétique jusque dans sa violence.Merci de ton passage "dans mon humble blog" j´espère que tu y retourneras Bisous
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