A. de Lamartine - Chant d'amour

Publié le par Jonathan

 

 

Chant d'amour  
 Naples, 1822 Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre, Le doux frémissement des ailes du zéphyre À travers les rameaux, Ou l'onde qui murmure en caressant ces rives, Ou le roucoulement des colombes plaintives, Jouant aux bords des eaux ; Si, comme ce roseau qu'un souffle heureux anime, Tes cordes exhalaient ce langage sublime, Divin secret des cieux, Que, dans le pur séjour où l'esprit seul s'envole, Les anges amoureux se parlent sans parole, Comme les yeux aux yeux ; Si de ta douce voix la flexible harmonie, Caressant doucement une âme épanouie Au souffle de l'amour, La berçait mollement sur de vagues images, Comme le vent du ciel fait flotter les nuages Dans la pourpre du jour : Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille, Ma voix murmurerait tout bas à son oreille Des soupirs, des accords, Aussi purs que l'extase où son regard me plonge, Aussi doux que le son que nous apporte un songe Des ineffables bords ! Ouvre les yeux, dirais-je, ô ma seule lumière ! Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière Ma vie et ton amour ! Ton regard languissant est plus cher à mon âme Que le premier rayon de la céleste flamme Aux yeux privés du jour. 

Un de ses bras fléchit sous son cou qui le presse, L'autre sur son beau front retombe avec mollesse, Et le couvre à demi : Telle, pour sommeiller, la blanche tourterelle Courbe son cou d'albâtre et ramène son aile Sur son oeil endormi ! Le doux gémissement de son sein qui respire Se mêle au bruit plaintif de l'onde qui soupire À flots harmonieux ; Et l'ombre de ses cils, que le zéphyr soulève, Flotte légèrement comme l'ombre d'un rêve Qui passe sur ses yeux ! Que ton sommeil est doux, ô vierge ! ô ma colombe ! Comme d'un cours égal ton sein monte et retombe Avec un long soupir ! Deux vagues que blanchit le rayon de la lune, D'un mouvement moins doux viennent l'une après l'une Murmurer et mourir ! Laisse-moi respirer sur ces lèvres vermeilles Ce souffle parfumé !...Qu'ai-je fait ? Tu t'éveilles : L'azur voilé des cieux Vient chercher doucement ta timide paupière ; Mais toi, ton doux regard, en voyant la lumière, N'a cherché que mes yeux ! Ah ! que nos longs regards se suivent, se prolongent, Comme deux purs rayons l'un dans l'autre se plongent, Et portent tour à tour Dans le coeur l'un de l'autre une tremblante flamme, Ce jour intérieur que donne seul à l'âme Le regard de l'amour ! Jusqu'à ce qu'une larme aux bords de ta paupière, De son nuage errant te cachant la lumière, Vienne baigner tes yeux, Comme on voit, au réveil d'une charmante aurore, Les larmes du matin, qu'elle attire et colore, L'ombrager dans les cieux. Parle-moi ! Que ta voix me touche ! Chaque parole sur ta bouche Est un écho mélodieux ! Quand ta voix meurt dans mon oreille, Mon âme résonne et s'éveille, Comme un temple à la voix des dieux ! Un souffle, un mot, puis un silence, C'est assez : mon âme devance Le sens interrompu des mots, Et comprend ta voix fugitive, Comme le gazon de la rive Comprend le murmure des flots. Un son qui sur ta bouche expire, Une plainte, un demi-sourire, Mon coeur entend tout sans effort : Tel, en passant par une lyre, Le souffle même du zéphyre Devient un ravissant accord !

Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage ? Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage : Rougis-tu d'être belle, ô charme de mes yeux ? L'aurore, ainsi que toi, de ses roses s'ombrage. Pudeur ! honte céleste ! instinct mystérieux, Ce qui brille le plus se voile davantage ; Comme si la beauté, cette divine image, N'était faite que pour les cieux ! Tes yeux sont deux sources vives Où vient se peindre un ciel pur, Quand les rameaux de leurs rives Leur découvrent son azur. Dans ce miroir retracées, Chacune de tes pensées Jette en passant son éclair, Comme on voit sur l'eau limpide Flotter l'image rapide Des cygnes qui fendent l'air ! Ton front, que ton voile ombrage Et découvre tour à tour, Est une nuit sans nuage Prête à recevoir le jour ; Ta bouche, qui va sourire, Est l'onde qui se retire Au souffle errant du zéphyr, Et, sur ces bords qu'elle quitte, Laisse au regard qu'elle invite, Compter les perles d'Ophyr ! Ton cou, penché sur l'épaule, Tombe sous son doux fardeau, Comme les branches du saule Sous le poids d'un passereau ; Ton sein, que l'oeil voit à peine Soulevant à chaque haleine Le poids léger de ton coeur, Est comme deux tourterelles Qui font palpiter leurs ailes Dans la main de l'oiseleur. Tes deux mains sont deux corbeilles Qui laissent passer le jour ; Tes doigts de roses vermeilles En couronnent le contour. Sur le gazon qui l'embrasse Ton pied se pose, et la grâce, Comme un divin instrument, Aux sons égaux d'une lyre Semble accorder et conduire Ton plus léger mouvement.

Pourquoi de tes regards percer ainsi mon âme ? Baisse, oh ! baisse tes yeux pleins d'une chaste flamme : Baisse-les, ou je meurs. Viens plutôt, lève-toi ! Mets ta main dans la mienne, Que mon bras arrondi t'entoure et te soutienne Sur ces tapis de fleurs. Aux bords d'un lac d'azur il est une colline Dont le front verdoyant légèrement s'incline Pour contempler les eaux ; Le regard du soleil tout le jour la caresse, Et l'haleine de l'onde y fait flotter sans cesse Les ombres des rameaux. Entourant de ses plis deux chênes qu'elle embrasse, Une vigne sauvage à leurs rameaux s'enlace, Et, couronnant leurs fronts, De sa pâle verdure éclaircit leur feuillage, Puis sur des champs coupés de lumière et d'ombrage Court en riants festons. Là, dans les flancs creusés d'un rocher qui surplombe, S'ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe Aime à gémir d'amour ; La vigne, le figuier, la voilent, la tapissent, Et les rayons du ciel, qui lentement s'y glissent, Y mesurent le jour. La nuit et la fraîcheur de ces ombres discrètes Conservent plus longtemps aux pâles violettes Leurs timides couleurs ; Une source plaintive en habite la voûte, Et semble sur vos fronts distiller goutte à goutte Des accords et des pleurs. Le regard, à travers ce rideau de verdure, Ne voit rien que le ciel et l'onde qu'il azure ; Et sur le sein des eaux Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sa nacelle, Fendent ce ciel limpide, et battent comme l'aile Des rapides oiseaux. L'oreille n'entend rien qu'une vague plaintive Qui, comme un long baiser, murmure sur sa rive, Ou la voix des zéphyrs, Ou les sons cadencés que gémit Philomèle, Ou l'écho du rocher, dont un soupir se mêle À nos propres soupirs.

Viens, cherchons cette ombre propice Jusqu'à l'heure où de ce séjour Les fleurs fermeront leur calice Aux regards languissants du jour. Voilà ton ciel, ô mon étoile ! Soulève, oh ! soulève ce voile, Éclaire la nuit de ces lieux ; Parle, chante, rêve, soupire, Pourvu que mon regard attire Un regard errant de tes yeux. Laisse-moi parsemer de roses La tendre mousse où tu t'assieds, Et près du lit où tu reposes Laisse-moi m'asseoir à tes pieds. Heureux le gazon que tu foules, Et le bouton dont tu déroules Sous tes doigts les fraîches couleurs ! Heureuses ces coupes vermeilles Que pressent tes lèvres, pareilles Aux frelons qui tètent les fleurs ! Si l'onde des lis que tu cueilles Roule les calices flétris, Des tiges que ta bouche effeuille Si le vent m'apporte un débris, Si ta bouche qui se dénoue Vient, en ondulant sur ma joue, De ma lèvre effleurer le bord ; Si ton souffle léger résonne, Je sens sur mon front qui frissonne Passer les ailes de la mort. Souviens-toi de l'heure bénie Où les dieux, d'une tendre main, Te répandirent sur ma vie Comme l'ombre sur le chemin. Depuis cette heure fortunée, Ma vie à ta vie enchaînée, Qui s'écoule comme un seul jour, Est une coupe toujours pleine, Où mes lèvres à longue haleine Puisent l'innocence et l'amour. Ah ! lorsque mon front qui s'incline Chargé d'une douce langueur, S'endort bercé sur ta poitrine Par le mouvement de ton coeur...

Un jour, le temps jaloux, d'une haleine glacée, Fanera tes couleurs comme une fleur passée Sur ces lits de gazon ; Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres Ces rapides baisers, hélas ! dont tu me sèvres Dans leur fraîche saison. Mais quand tes yeux, voilés d'un nuage de larmes, De ces jours écoulés qui t'ont ravi tes charmes Pleureront la rigueur ; Quand dans ton souvenir, dans l'onde du rivage Tu chercheras en vain ta ravissante image, Regarde dans mon coeur ! Là ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre ; Là ton doux souvenir veille à jamais à l'ombre De ma fidélité, Comme une lampe d'or dont une vierge sainte Protège avec la main, en traversant l'enceinte, La tremblante clarté. Et quand la mort viendra, d'un autre amour suivie, Éteindre en souriant de notre double vie L'un et l'autre flambeau, Qu'elle étende ma couche à côté de la tienne, Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne Dans le lit du tombeau. Ou plutôt puissions-nous passer sur cette terre, Comme on voit en automne un couple solitaire De cygnes amoureux Partir, en s'embrassant, du nid qui les rassemble, Et vers les doux climats qu'ils vont chercher ensemble S'envoler deux à deux.

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V
WOAW!!! j'en perds mes mots!!! ça m'a fait des frissons, eh bien Jonathan, je ne connaissais pas du tout ce texte de LAMARTINE, je le trouve fabuleux.  Il y a aussi : <br /> <br /> Le jour s'éteint sur tes collines,<br /> Ô terre où languissent mes pas ! <br /> Quand pourrez-vous, mes yeux, quand pourrez-vous, hélas !<br /> Saluer les splendeurs divines <br /> Du jour qui ne s'éteindra pas ? <br /> Sont-ils ouverts pour les ténèbres, <br /> Ces regards altérés du jour ? <br /> De son éclat, ô Nuit ! à tes ombres funèbres <br /> Pourquoi passent-ils tour à tour ? <br /> Mon âme n'est point lasse encore <br /> D'admirer l'œuvre du Seigneur; <br /> Les élans enflammés de ce sein qui l'adore <br /> N'avaient pas épuisé mon cœur ! <br /> Dieu du jour ! Dieu des nuits ! Dieu de toutes les heures ! <br /> Laisse-moi m'envoler sur les feux du soleil ! <br /> Où va vers l'occident ce nuage vermeil ? <br /> Il va voiler le seuil de tes saintes demeures <br /> Où l'œil ne connaît plus la nuit ni le sommeil ! <br /> Cependant ils sont beaux à l'œil de l'espérance, <br /> Ces champs du firmament ombragés par la nuit; <br /> Mon Dieu ! dans ces déserts mon œil retrouve et suit <br /> Les miracles de ta présence ! <br /> Ces chœurs étincelants que ton doigt seul conduit, <br /> Ces océans d'azur où leur foule s'élance, <br /> Ces fanaux allumés de distance en distance, <br /> Cet astre qui paraît, cet astre qui s'enfuit, <br /> Je les comprends, Seigneur ! tout chante, tout m'instruit <br /> Que l'abîme est comblé par ta magnificence, <br /> Que les cieux sont vivants, et que ta providence <br /> Remplit de sa vertu tout ce qu'elle a produit ! <br /> Ces flots d'or, d'azur, de lumière, <br /> Ces mondes nébuleux que l'œil ne compte pas, <br /> Ô mon Dieu, c'est la poussière <br /> Qui s'élève sous tes pas ! <br /> Ô Nuits, déroulez en silence <br /> Les pages du livre des cieux; <br /> Astres, gravitez en cadence <br /> Dans vos sentiers harmonieux; <br /> Durant ces heures solennelles,<br /> Aquilons, repliez vos ailes, <br /> Terre, assoupissez vos échos; <br /> Étends tes vagues sur les plages, <br /> Ô mer ! et berce les images <br /> Du Dieu qui t'a donné tes flots. <br /> Savez-vous son nom ? La nature <br /> Réunit en vain ses cent voix, <br /> L'étoile à l'étoile murmure <br /> Quel Dieu nous imposa nos lois ? <br /> La vague à la vague demande <br /> Quel est celui qui nous gourmande ? <br /> La foudre dit à l'aquilon :<br /> Sais-tu comment ton Dieu se nomme ?<br /> Mais les astres, la terre et l'homme <br /> Ne peuvent achever son nom. <br /> Que tes temples, Seigneur, sont étroits pour mon âme !<br /> Tombez, murs impuissants, tombez ! <br /> Laissez-moi voir ce ciel que vous me dérobez ! <br /> Architecte divin, tes dômes sont de flamme ! <br /> Que tes temples, Seigneur, sont étroits pour mon âme ! <br /> Tombez, murs impuissants, tombez ! <br /> Voilà le temple où tu résides !<br /> Sous la voûte du firmament <br /> Tu ranimes ces feux rapides <br /> Par leur éternel mouvement ! <br /> Tous ces enfants de ta parole, <br /> Balancés sur leur double pôle, <br /> Nagent au sein de tes clartés, <br /> Et des cieux où leurs feux pâlissent <br /> Sur notre globe ils réfléchissent <br /> Des feux à toi-même empruntés !<br /> L'Océan se joue <br /> Aux pieds de son Roi; <br /> L'aquilon secoue <br /> Ses ailes d'effroi; <br /> La foudre te loue <br /> Et combat pour toi; <br /> L'éclair, la tempête, <br /> Couronnent ta tête <br /> D'un triple rayon;<br /> L'aurore t'admire, <br /> Le jour te respire, <br /> La nuit te soupire, <br /> Et la terre expire <br /> D'amour à ton nom !<br /> Et moi, pour te louer, Dieu des soleils, qui suis-je ? <br /> Atome dans l'immensité, <br /> Minute dans l'éternité, <br /> Ombre qui passe et qui n'a plus été, <br /> Peux-tu m'entendre sans prodige ? <br /> Ah ! le prodige est ta bonté ! <br /> Je ne suis rien, Seigneur, mais ta soif me dévore; <br /> L'homme est néant, mon Dieu, mais ce néant t'adore, <br /> Il s'élève par son amour; <br /> Tu ne peux mépriser l'insecte qui t'honore, <br /> Tu ne peux repousser cette voix qui t'implore,<br /> Et qui vers ton divin séjour, <br /> Quand l'ombre s'évapore, <br /> S'élève avec l'aurore,<br /> Le soir gémit encore, <br /> Renaît avec le jour. <br /> Oui, dans ces champs d'azur que ta splendeur inonde, <br /> Où ton tonnerre gronde, <br /> Où tu veilles sur moi, <br /> Ces accents, ces soupirs animés par la foi, <br /> Vont chercher, d'astre en astre, un Dieu qui me réponde,<br /> Et d'échos en échos, comme des voix sur l'onde, <br /> Roulant de monde en monde <br /> Retentir jusqu'à toi. <br /> Bonne journée ;-)<br />
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