Analyse de l'oeuvre de J. Giraudoux "Ondine": L'amour dévastateur.

Publié le par Jonathan

Ondine ou l'amour dévastateur

Herméneutique instaurative

De la pièce de Jean Giraudoux

Ondine (1939) 
 


Introduction sur l’œuvre et le personnage d’Ondine
 
C'est un conte du romantique allemand La Motte-Fouqué (1777-1843) qui inspira Ondine à Jean Giraudoux. Le thème de la nixe (nymphe des eaux de la mythologie germanique) qui cherche à s'incarner dans l'humain est un topos du conte merveilleux (on le retrouve dans le mythe celtique de Mélusine). Mais alors que, dans ces traditions, l'ondine souhaite gagner dans cette forme humaine un supplément d'âme ou assume une vieille malédiction, l'héroïne de Giraudoux y perd par amour ses attributs surnaturels. Le dramaturge a trouvé là une occasion de représenter les rapports impossibles de l'homme et de la femme.[1]
 
Une ondine (ondin au masculin) est un génie des eaux dans la mythologie germanique (où elle est également désignée sous le terme de nixe) ou alsacienne.
Ondine est une nymphe ou naïade (équivalent de la mythologie grecque). À l'inverse des sirènes, les nymphes ne fréquentent pas la mer, mais les eaux courantes, rivières, fontaines, et n'ont pas de queue de poisson. Durant l'été, elles aiment se tenir assises sur la margelle des fontaines, et se peigner leurs longs cheveux avec des peignes d'or ou d'ivoire. Elles aiment également se baigner dans les cascades, les étangs, et les rivières, à la faveur des jours radieux d'été. On dit que celles qui ont les cheveux couleur d'or possèdent de grands trésors qu'elles gardent dans leurs beaux palais immergés[2].
 
Petit résumé de la pièce
 
Hans, chevalier errant, arrive dans la chaumière des parents adoptifs d’Ondine alors qu’il vient de passer un mois dans la forêt où il avait été envoyé par sa future femme Bertha pour tester sa bravoure.
Ondine, nymphe des eaux, tombe amoureuse du chevalier et le séduit. Les autres ondins s’opposant à cette union car ils n’acceptent pas la fatalité qu’elle comporte - le chevalier devra la tromper - , Ondine accepte un pacte avec eux disant que si le chevalier la trompe un jour, ils auraient le droit de le tuer.
Connaissant bien la condition et les vertus de l’homme, les autres ondines, sous les ordres du roi des ondins, tentent de séduire le chevalier mais en vain.
Finalement, le chevalier finira par tromper Ondine avec son ancienne promise Bertha, et Ondine sera obligée de faire croire que c’est elle qui a trompé le chevalier la première pour empêcher qu’il ne soit tué.
Sa « non-humanité » découverte, elle sera jugée mais son procès se changera vite en un procès de l’amour. Le roi des ondins, par ses investigations se rendra compte de l’infidélité première du chevalier mais ne sera pas obligé de le tuer car son amour pour Ondine lui aura déjà porté le coup fatal. Il finit par mourir et Ondine, par un sort magique des ondins, oublie toute son expérience humaine et l’amour qu’elle portait au chevalier Hans.
 
 
Ondine ou l’amour dévastateur
 
 
Introduction
 
Dans une période du XXe siècle où la haine et les rapports tendus entre les êtres humains dominent, Giraudoux nous propose une pièce qui a pour thème majeur l’amour. Cet amour est proposé dans ce qu’il a de plus compliqué avec une vision fataliste et une description des rapports humains assez pessimiste.
 
         Il nous montre ici, différemment de beaucoup d’écrivains qui font l’éloge de l’amour parfait, que l’amour est destructeur, qu’il ne mène qu’à la perte de soi-même et qu’il n’est finalement qu’un sentiment humain comme les autres, basé sur la recherche de perfection et de domination, régi par la trahison et le mensonge.
 
         La condition humaine, les caractéristiques propres à l’homme ne peuvent mener, d’après l’illustration qu’en fait Giraudoux, qu’à la recherche d’une perfection inexistante qui perd l’homme et le conduit à sa mort. Ondine, incarnation de la perfection, se démantèle peu à peu à cause de l’amour que lui porte Hans ainsi que  son propre amour pour lui. Sa volonté de rester toujours parfaite à ses yeux tout en se rapprochant de lui et en acquérant une condition humaine lui porte aussi préjudice.
Là réside tout le paradoxe de l’histoire puisque Ondine ne peut être à la fois humaine et un être parfait. Au moment où elle perd sa perfection, Hans doit la rechercher ailleurs, auprès d’une simple humaine nommée Bertha qui donne l’impression de perfection. Leur liaison fera repasser Hans d’une situation entre la perfection naturelle et l’humanité incarnée par la figure du chevalier à une situation d’homme simple incarnée par le prénom Hans par lequel il sera nommé dans le troisième acte.
 
         L’amour est donc représenté dans cette pièce comme un élément de perdition. Il fait perdre à Ondine sa perfection qui, pour la récupérer doit effacer de sa mémoire l’amour qu’elle éprouve ; l’amour de Hans pour Bertha lui fait perdre son statut de « demi-perfection » qu’il possédait et son amour pour Ondine le conduit à la mort.
L’amour est donc quelque chose de possible mais qui ne mène pas au bonheur chez l’Homme. Il ne peut mener au bonheur que lorsqu’il y a perfection, mais l’Homme est, par nature, imparfait. Le seul bonheur possible pour l’Homme est éphémère. Il n’a lieu que lorsqu’il parvient à toucher du doigt la perfection que jamais il ne pourra atteindre car, toujours, il retombe dans l’imperfection à cause des fondements de sa nature même : le mensonge, la trahison, l’infidélité.
 
 
 
1) L’impossibilité du bonheur dans l’union
 
 
Ondine est une ondine, elle fait partie intégrante de la nature qui possède une âme universelle, une âme commune. Elle tombe amoureuse de Hans Wittenstein zu Wittenstein, un chevalier qui possède toutes les caractéristiques de la « race » à laquelle il appartient, l’humain. Il se trouve que l’homme possède une âme individuelle et qu’il n’existe pas d’âme commune chez les hommes.
 
« L’âme du monde aspire et expire par les naseaux et les branchies. Mais l’homme a voulu son âme à soi. Il a morcelé stupidement l’âme générale. Il n’y a pas d’âme des hommes. »[3]
 
Le chevalier est un chevalier errant donc constitue un certain lien entre les deux « races » puisque le chevalier errant comprend plus ou moins le langage des animaux. Ondine lui dit d’ailleurs dans la scène 3 de l’acte I « Vous êtes une bête ».
C’est cette particularité qui fera que le couple Ondine et le chevalier pourra se constituer.
 
a) La volonté de perfection et le désir du vil :
 
Cet amour est un amour qui dès le début est condamné à se perdre. En effet, si l’union a lieu c’est avant tout par obligation. Les ondines sont ainsi faites qu’elles doivent tomber amoureuses du premier mâle qu’elles rencontrent.
        
« Chez nous l’on ne choisit pas, de grands sentiments nous choisissent, et le premier ondin venu est pour toujours le seul ondin. Hans est le premier homme que j’ai vu, on ne peut choisir davantage. »[4]
 
Le chevalier, quant à lui, tombe amoureux d’Ondine parce qu’elle l’y oblige en quelque sorte. C’est par la magie de sa beauté qu’elle attirera l’attention du chevalier et qu’il sera amoureux d’elle. Mais c’est justement cette recherche de beauté du chevalier qui perdra le couple.
Dès le début, le chevalier est en quête de la Beauté. Lorsqu’il arrive dans la maison des parents d’Ondine, il annonce qu’il est à la recherche de sa promise, Bertha, qui est la perfection même.
 
« Je reste maquignon même avec les femmes. Aucune tare ne m’échappe. L’Angélique a l’ongle du pouce droit cannelé. Violante a une paillette d’or dans l’œil. Tout en Bertha est parfait. »[5]
 
S’il tombe finalement dans les bras d’Ondine c’est qu’il s’aperçoit qu’elle est encore bien plus parfaite, mais il ignore qu’elle n’est pas humaine.
Ondine sait qu’elle est parfaite puisqu’elle est une ondine mais elle aimerait que tous puissent le voir. Pour cela, il tentera de troquer ça condition pour celle de l’humain.
C’est cette recherche de chacun d’atteindre la condition de l’autre qui va les perdre.
 
« Le chevalier : Je veux que le monde voie ce qu’il possède de plus parfait… Ne sais-tu pas que tu es ce qu’il possède de plus parfait !
                        Ondine : Je m’en doute. Mais le monde a-t-il des yeux pour le voir ? »[6]
 
L’Homme reste attiré toute sa vie par la perfection. On le voit avec la scène d’Auguste (père adoptif d’Ondine) rencontrant la comtesse Violante.
 
« (Elle se penche vers lui. Il voit la paillette d’or dans son œil.)
Violante : Que voulez-vous ?
                        Auguste : Plus rien…J’avais raison…C’est merveilleux…Merci… »[7]
 
Lorsque le chevalier se décidera à se marier avec Ondine, il ne met pas en avant les qualités intérieures d’Ondine en premier lieu, il expose ses capacités magiques et sa perfection physique avant tout.
 
« Elle faisait d’or les assiettes d’étain. Elle sortait dans l’orage sans être mouillée. Non seulement elle était la plus belle fille qu’il ait vue au monde, mais il sentait qu’elle était la gaieté, la tendresse, le sacrifice. Il sentait qu’elle pouvait mourir pour lui, réussir pour lui ce qu’aucun être ne peut réussir, passer dans les flammes, plonger dans les gouffres, voler… »[8]
 
L’homme est aussi vaniteux : Ondine ne plait au chevalier que lorsqu’elle lui dit qu’il est beau.
 
« Quand elle me disait que j’étais beau, je sais que je ne suis pas beau, mais elle me plaisait. Et elle m’a déplu quand elle m’a dit que j’étais lâche, et je sais que je ne suis pas lâche… »[9]
 
Au départ, Ondine est aussi attirée par la perfection. Quand elle rencontre le chevalier, la première chose qu’elle lui dit c’est qu’elle le trouve beau et que c’est la beauté des hommes qui est la raison pour être une fille.
Pour elle, l’amour ne peut s’obtenir que par la perfection, les ondins se laissent trop facilement avoir pas les choses imparfaites et elle renie cela.
 
« Ton mari ! Le phoque avec ses trous de nez sans nez ! Un collier de perles, et il t’a eue !...De perles pas même assorties. »[10]
 
Elle veut aussi être une ménagère parfaite pour plaire totalement au chevalier :
 
« Ondine (à Eugénie) : Tu te crois une belle ménagère parce que tu sais rôtir du porc ! Ce n’est pas ça d’être ménagère ! C’est d’être tout ce qu’aime mon seigneur Hans, tout ce qu’il est. D’être ce qu’il a de plus beau et ce qu’il a de plus humble. »[11]  
 
Mais Ondine est bientôt attirée par ce que l’humain a de plus banal, elle veut pouvoir vivre le quotidien rationnel et pour cela perd ses attributs magiques d’ondine, sa perfection. C’est à ce moment que le chevalier la trompera. Il se détournera d’Ondine pour retrouver son ancienne perfection dans la personne de Bertha qui, elle, ne changera jamais de condition puisqu’elle est humaine.
Le mal est alors fait, c’est en voulant se rapprocher de lui qu’Ondine perd Hans à tout jamais.
 
Giraudoux représente nettement dans la scène 6 de l’acte I cette différence radicale des comportements et des modes de pensée. Il faudra toute la volonté d'Ondine pour que l'acte s'achève sur une réconciliation, qu'au terme des propos échangés le spectateur ne peut que ressentir comme bien fragile.[12]
 
Dans la scène 13 de l’acte II, un intermède présente les personnages de Salammbô et de Matho  qui sont une représentation dans la représentation et qui rejouent en quelque sorte l’amour dépareillé d’Ondine et de Hans dans un chant.[13]
 
                  « Mathos : Oui, je ne suis qu’un mercenaire !
                        Salammbô : Oui, je suis nièce d’Annibal ! Mais j’adore ce corps indigne !
                        Mathos : Mais j’adore ce corps sacré ! »[14]
 
C’est aussi la représentation de l’homme et de son destin lié à l’amour dans un cadre de guerre, image de la situation historique dans laquelle se trouve Giraudoux à l’époque. La pièce entière est un reflet de la société dans laquelle vit l’auteur mais ce passage est particulièrement représentatif.
 
Cette volonté de perfection des hommes est présente dans toute la pièce chez tous les personnages humains. On le voit par exemple avec le désir pressant du chambellan de connaître l’histoire d’Ondine, du chevalier et de Bertha tout de suite dans une pièce que donne le roi des ondins déguisé en illusionniste. Lui et les femmes de la cour ne savent pas attendre les mois voire les années nécessaires pour que les événements importants de leur vie aient lieu, ils veulent tout voir dans l’instant, que l’imperfection du temps soit abolie. Mais ce désir de perfection à un pendant ; le chambellan vieillit en une heure de représentation d’une dizaine d’année : le temps garde sont effet malgré que l’on puisse le rendre moins imparfait.
 
On se rend finalement compte que, dans le monde humain, la perfection n’existe pas. C’est tout à fait ce que révèle le poète lorsqu’il parle de son plus beau vers à Ondine :
 
                  « Ondine : Quel a été votre premier vers ?
Le poète : Le plus magnifique. Il est aussi haut au-dessus de tous les vers que vous au-dessus des autres femmes.
Ondine : Dites-le vite…
Le poète : Je ne le sais plus, je l’ai fait en rêve. Au réveil, j’avais oublié.
Ondine : Il fallait vite l’écrire.
Le poète : C’est bien ce que je me suis dit. Je l’ai même écrit beaucoup trop vite…Je l’ai écrit en rêve. »[15]
La poésie, qui représente en soi une certaine perfection, est le héraut de la mort à la fin de la pièce. Dans l’acte III, le chevalier, qui est devenu simplement Hans, entend ses serviteurs parler en vers. Pour les Wittenstein, c’est le signe que la mort est proche.
 
« Toi qui sais tout des Wittenstein, apprends encore ceci : le jour où le malheur doit leur faire visite, les serviteurs se mettent à parler un langage solennel. (…) Ils pensent à la nature. Ils pensent à l’âme…Le soir, c’est le malheur. »[16]
 
b) Le dilemme de la proximité :
 
Ondine perçoit l’amour comme l’union de deux êtres qui ne se quittent plus jamais lorsqu’ils se sont trouvés. Ils sont liés dans la vie et le seront dans la mort en tenant toujours une position du mâle devant et de la femelle qui le suit juste derrière lui.
 
«Une fois que les chiens de mer ont formé leur couple, Hans, ils ne se quittent jamais plus. A un doigt l’un de l’autre, ils nagent des milliers de lieues sans que le tête de la femelle reste de plus d’une tête en arrière.»[17] 
 
Ondine poussera même cette proximité à son comble en proposant au chevalier qu’ils soient soudés ensemble pour éviter qu’ils soient « à la merci d’une envie, d’une humeur »[18]dans le monde.
 
« Je connais quelqu’un qui pourrait nous unir pour toujours, quelqu’un de très puissant, qui ferait que nous serions soudés l’un à l’autre comme le sont certains jumeaux, veux-tu que je l’appelle ? »[19]
 
Elle se rendra compte plus tard, lorsqu’elle aura été mariée quelques mois avec le chevalier, que la proximité tue l’amour, que plus il se trouvait loin de Bertha et plus elle tentait de lui dire qu’elle était mauvaise et plus il pensait à elle.
 
« Chaque fois que je voulais détourner Hans de Bertha, je n’arrivais qu’à le lancer vers elle. (…) Je vais agir tout au contraire ! (…) Chaque jour je m’arrangerai pour qu’il la rencontre, pour qu’elle soit la plus éclatante possible (…). Alors il ne verra que moi. J’ai déjà un projet. C’est que Bertha vienne habiter avec nous. Ainsi ils passeront toute leur vie ensemble : ce sera comme si elle était loin. (…) Ils s’effleureront, ils se toucheront : alors ils se sentiront séparés et ils n’auront point de désir. Alors, je serai tout pour Hans. »[20]
 
Ondine se trompera sur ce point, elle ne fera que pousser le destin à agir plus vite. En effet, le chevalier est dans une perpétuelle recherche de perfection et, lorsque Ondine tentera de se faire plus humaine et perdra ses capacités d’ondine, il cherchera ailleurs cette perfection dont il a tant besoin pour vivre et trompera Ondine.
 
 
 
2) L’impossibilité du bonheur raison de la nature humaine
 
Si le bonheur est impossible par la différence qu’il existe entre la « race » parfaite des ondins et la « race » imparfaite des hommes c’est aussi en raison de la condition de l’Homme et de ses vertus.
 
Dès le début, les ondins savent que le chevalier est perdu s’il s’éprend d’Ondine. Ils savent que les hommes, malgré le fait qu’ils se disent toutes les qualités, sont, par leur condition même, menteurs, lâches et faibles.
 
« Je sais déjà qu’ils mentent, que ceux qui sont beaux sont laids, ceux qui sont courageux sont lâches. »[21]
 
Ils savent d’avance que le chevalier ne pourra rester fidèle à Ondine mais le seul défaut qu’elle voit en lui est la bêtise, un défaut qui l’arrange car cela lui permettra de ne pas être reconnue comme une ondine mais qui l’ennuie aussi car la bêtise rend plus facilement manipulable.
 
« Yseult : Dès qu’il soupçonnera son erreur, tu le perdras…
Ondine : Je me doutais du danger. Entre tous les chevaliers j’ai choisi le plus bête… »[22]
 
« Ondine : Tu es bête mais tu es beau. Et toutes elles le savent. Et toutes elles se disent : quelle chance que tout en étant si beau il soit si bête ! (…) Ce sera facile de le séduire parce qu’il est bête. »[23]
 
Dans cette démonstration de l’homme à travers sa condition, on peut voir deux éléments ressortant de la description de Giraudoux qui jouent un rôle capital dans la perte des hommes face à leur quête d’absolu : le mensonge et l’infidélité.
 
 
a) La force du mensonge :
 
Giraudoux nous montre dans cette pièce que l’homme n’agit toujours qu’en fonction de l’autre. Il cherche toujours à lui plaire en lui parlant et en agissant pour qu’il ne se sente jamais offensé, quitte à lui mentir.
Ondine est innocente, elle ne comprend pas cette manière qu’ont les hommes de ne pas dire ce qu’ils pensent réellement. Ils vont lui apprendre le mensonge.
 
« Le poète : Le chambellan veut seulement vous dire qu’il ne faut point faire de peine à ceux qui sont laids en leur parlant de leur laideur.
Le chambellan : Comprenez donc que la politesse est une sorte de placement, et le meilleur ! (…)
Ondine : Viens vite, Hans chéri, le grand maître m’apprend à mentir. »[24]
 
Dans le monde des hommes, il faut savoir mentir sans que cela se voie. Pour y arriver, on doit pouvoir contrôler sa personne et faire de son mensonge une franchise.
 
« L’homme doit tenir sous son contrôle les deux traîtres dont il ne peut se défaire : sa parole et son visage. S’il a peur, ils doivent exprimer le courage. S’il ment, la franchise. »[25]
 
Ondine finalement n’arrive pas à mentir. Lorsqu’elle tente de le faire pour plaire à Bertha, elle ne fait que l’insulter un peu plus alors, pour se rattraper, elle raconte la vérité sur la réelle naissance de Bertha.
Le seul qui apprécie son honnêteté, c’est le roi : c’est en effet le seul homme parfait qu’ait connu le siècle selon les paroles d’ Yseult, sa femme.
Le mensonge  n’est pas fait pour elle, par contre il fait partie intégrante de la condition humaine.
 
« Il faut croire que la vertu des hommes est déjà un mensonge affreux. Il m’a dit qu’il m’aimerait toujours… »[26]
 
Mais la difficulté pour Ondine est encore plus grande car parmi les hommes, il ne suffit pas de savoir mentir, il faut savoir mixer la vérité et le mensonge. Les hommes ne supportent pas la vérité ou le mensonge pur, il le rejette car ils n’apprécient pas la transparence. Ondine doit mélanger vérité et mensonge pour continuer à plaire tout en tendant toujours vers la perfection. C’est l’impossibilité que réclame l’amour.
 
                               « Ondine : Si les hommes ne savent pas supporter la vérité, je mentirai !
                        Yseult : Tu offriras aux hommes ce qu’ils détestent le plus.
                        Ondine : La fidélité ?
                        Yseult : Non. La transparence. Ils en ont peur. »[27]
 
 
 
b) L’inéluctable infidélité :
 
Les ondins ne connaissent pas l’infidélité, ils la découvrent avec l’arrivée de Hans. En effet, dès le début, il trompe son aimée Bertha pour la remplacer par une plus grande perfection en la personne d’Ondine.
Une fois le chevalier sous les blandices d’Ondine, celle-ci n’a qu’une seule peur, celle qu’il l’abandonne. Elle pense, et à raison, que s’il a pu tromper Bertha, il n’aura aucun mal à la trahir elle aussi. Cet abandon est représenté par le symbole des bras que le chevalier peut ouvrir sans qu’Ondine ne le lui ait appris.
 
Au tt début de la pièce, Auguste pose la question au chevalier de savoir si sa nature ne devrait pas être d’être fidèle. Il lui répondra : « Fidèle à l’aventure, oui. »[28]
Le chevalier ne restera fidèle à sa femme que tant qu’elle restera la plus parfaite. C’est en découvrant Ondine qu’il abandonne Bertha ; c’est lorsque Ondine devient plus humaine qu’il retourne à Bertha. Mais tant qu’il possède la perfection, il ne se laisse pas séduire et ne trompe pas, ce qui ne l’empêche pas d’être très rapidement séduit.
 
                                « Le chevalier : Je suis perclus de bonheur…
                        Ondine : Il a bien fallu vingt minutes… Le brochet en demande trente. »[29]
 
Ce balancement dans l’amour que le chevalier Hans éprouve pour Ondine est clairement représenté au travers de symboles qui, si l’on se base sur les théories de Gilbert Durand, font partie d’un régime aussi bien diurne que nocturne.[30] En effet, Ondine est au départ représentée par des symboles comme l’azur et la lumière qui sont des symboles que Durand appelle « spectaculaires » et qui s’opposent à des symboles nyctomorphes telle que l’eau triste qui sera une représentation faite d’Ondine au début du texte. Ondine est effectivement triste de sa situation et désire plus que tout changer pour devenir humaine.
De cette manière, elle est aussi mise en opposition avec Bertha qui est représentée à de nombreuses reprises par la nuit, la brune opposée à la blonde, mais aussi comme un personnage stable puisqu’elle ne change jamais tout au long de la pièce.
 
« Le chevalier (parlant d’Ondine) : Une blonde. Le soleil passe où elle passe.
                        Bertha : Nuits ensoleillées… Moi j’aime l’ombre. »[31]
 
Malgré ces symboles diurnes, Ondine et son univers sont aussi représentés par des symboles faisant partie d’un régime nocturne. C’est le cas notamment par l’utilisation des symboles du poisson et de la sirène – l’ondine se rapprochant de cette dernière – ainsi que du monde végétal qui est l’environnement avec lequel Ondine est en symbiose parfaite, celui de la maison dans laquelle elle vit et du bois sacré où se trouve sa maison et dans lequel se perdra le chevalier.
Ondine est donc un personnage très nuancé et se trouvant à la fois dans les deux régimes de Durand. Cela ne nous étonne donc pas que la relation entre Hans et Ondine soit très nuancée elle aussi puisqu’elle repose sur ce personnage ambigu et pluriel qu’est Ondine.
 
                               « Bertha : Comment se présente-t-elle, Ondine ?
                        Le chevalier : Comme ce qu’elle est, comme l’amour. »[32]
 
De son côté, Ondine est infidèle à ses congénères, elle les renie et perd tout.
 
« Cette ondine-là au contraire renie les ondines. Elle les a trahies. Elle pouvait garder leur force, leur science. (…) Non, elle a accepté l’entorse, le rhume des foins, la cuisine au lard ! »[33]
 
De ce fait, « elle est la plus humaine qu’il y ait eu parce qu’elle l’était par goût.»[34]
 
Le jugement final d’Ondine tourne peu à peu du jugement d’un personnage surnaturel à un jugement de l’amour.
 
                  « Nous avons à juger une ondine et non pas l’amour. »[35]
 
Finalement, Hans accuse l’amour parfait, le plus vrai d’être le plus faux en prononçant ces mots : « J’accuse l’amour le plus vrai d’être ce qu’il y a de plus faux ». [36] Mais cette vision est erronée puisque Ondine n’a jamais trompé Hans, c’est une vision de l’homme qui ne croit plus à l’amour, qui ne croit plus en la fidélité.
En fin de compte, le seul tort d’Ondine a été d’avoir trop aimé. Elle a voulu protéger Hans dans son infidélité, tout cela par amour pour lui et le résultat sera leur perte à tous les deux.
 
« Le premier juge : Cette fille ondine a eu le tort de nous induire en erreur, de quitter sa nature. Mais il se révèle qu’elle n’apportera ici que bonté et amour.
Le deuxième juge : Un peu trop : si l’on se met à aimer ainsi dans la vie, ce n’est pas pour l’alléger… »[37]
 
Au final, l’infidélité chez les hommes est jugée normale et même un passage obligé. Elle ne signifie pas la perte d’amour mais au contraire un amour plus fort encore.
 
« Souvent ceux qui trompent sont les plus fidèles. Beaucoup trompent celles qu’ils aiment pour ne pas être orgueilleux, pour abdiquer, pour se sentir peu de chose près d’elles qui sont tout. »[38]
 
« J’ai aimé ondine parce qu’elle le voulait, je l’ai trompée parce qu’il le fallait. »[39]
 
Cette infidélité a amené le malheur à Ondine mais chez les hommes, le malheur n’exclu pas le bonheur. « Plus on souffre plus on est heureux. »[40]
Etant jugée comme normale, l’infidélité est pardonnée par les hommes mais jamais par ceux qui représentent la perfection : la nature et les ondins.
 
« C’est tout petit dans l’univers, le milieu où l’on oublie, où l’on change d’avis, où l’on pardonne, l’humanité, comme vous dites…Chez nous, c’est comme chez le fauve, comme chez les feuilles du frêne, comme chez les chenilles, il n’y a ni renoncement, ni pardon. »[41]
 
Hans sera d’ailleurs puni et ne sera jamais pardonné par la nature.
 
 
Conclusion 
 
On voit bien après cette analyse que Giraudoux veut montrer les rapports compliqués entre les hommes à l’époque à travers le thème de l’amour. Il tente aussi de monter l’impossibilité de l’homme à atteindre la perfection qui reste une notion totalement relative car la perfection qu’Ondine recherche est entièrement opposée à celle de Hans. C’est sans aucun doute ce climat d’entre-deux-guerres qui donne à Giraudoux une pareille vision de l’être humain qui, par sa volonté de toujours vouloir atteindre l’impossible finit par se détruire lui-même.
 
Pour faire cette démonstration à partir de l’amour, il plante ce sentiment dans un décor de mensonge et de tromperie qui le transforme en un sentiment à rejeter car il ne peut amener que la perte de ce que l’on possède, la perte de soi-même et peut aller jusqu’à conduire à la mort si l’on ne s’y soustrait pas.
L’amour représente une perfection que l’homme a toujours recherchée et qui lui est inaccessible. Le destin de l’homme est de souffrir et de mourir pour cette quête d’absolu qu’il ne peut atteindre sinon seulement très brièvement.
 
On peut donc considérer cette œuvre de deux façons. Soit nous pouvons la voir comme une mise en garde face à la recherche de perfection – malgré que celle-ci fasse partie du destin et de la nature de l’homme –, soit comme l’incitation à profiter au maximum du bonheur éphémère que propose la vie et que notamment l’amour peut offrir.
 
Bibliographie
 
-Jean Giraudoux, Ondine, Livre de poche, Paris, 1966
 
- Janine Delort, « Le motif de Salammbô », in Cahiers Jean Giraudoux, n°8, Paris, 1979
 
- Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, Paris, 1969
 
 
 


[3] Ondine, Jean Giraudoux, Livre de poche, Paris, 1966, p.123
[4] Ibid, Acte II, scène 11, p.122
[5] Ibid, Acte I, scène 2, pp.18-19
[6] Ibid, Acte I, scène 9, p.61
[7] Ibid, Acte II, scène 8, p.93
[8] Ibid, Acte I, scène 7, p.46
[9] Ibid, Acte I, scène 4, p.23
[10] Ibid, Acte I, scène 5, p.33
[11] Ibid, Acte I, scène 6, p.38
[12] http://www.site-magister.com/ondine.htm
[13] N.B : Pour plus d’informations sur le sujet, consulter : Janine Delort, « Le motif de Salammbô », in Cahiers Jean Giraudoux, n°8, Paris, 1979, pp.84-86 
[14] Op. cit., Acte II, scène 13, pp.133-134
[15] Ibid, Acte II, scène 9, pp.97-98
[16] Ibid, Acte III, scène 1, pp.144-145
[17] Ibid, Acte I, scène 9, p.63
[18] Ibid, Acte I, scène 9, p.65
[19] Ibid, Acte I, scène 9, p.64
[20] Ibid, Acte II, scène 11, pp.126-127
[21] Ibid, Acte I, scène 3, p.25
[22] Ibid, Acte II, scène 11, p.125
[23] Ibid, Acte II, scène 10, p.110
[24] Ibid, Acte II, scène 9, pp.100 et 104
[25] Ibid, Acte II, scène 9, p.96
[26] Ibid, Acte II, scène 11, p.121

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O
Bonjour, <br /> J’ai apprécié et développé votre analyse : https://www.dropbox.com/s/dqy4upfrklpbzvn/Ondine%20tue%20-%20Analyse%20d%E2%80%99%20%C2%AB%C2%A0Ondine%C2%A0%C2%BB%20de%20J.%20Giraudoux.docx?dl=0 <br /> Je ne sais pas où publier mon travail alors je le mets ici ...
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A
<br /> <br />  SUPER SA M'AIDE BEAUCOUP POUR MON FUTUR EXAMEN!! MERCI TRES BIEN REUSSI CHAPEAU !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
Interessant ^^!
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S
Bonjour,Je viens de découvrir votre blog. Je l'ai beaucoup apprécié.Je suis heureux de rejoindre la communauté des poétes belges. MerciCordialement
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M
Il faudrait pas que je regarde trop svt ton site sinon je vais tomber dans le "vice" de la lecture. Tu sais si bien en faire ressortir les charmes
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