L'artiste
Un petit texte écrit dans le cadre d'un séminaire d'écriture en décembre 2006
Cette soirée n’en finit pas. Faire des heures supplémentaires la veille de Noël, personne n’aime ça. Pas même un artiste tel que lui. Surtout quand ils passent un chouette film à la télévision et qu’un bon petit plat de carbonades surgelées vous attend dans le four à micro-ondes pour accompagner une bonne bière.
Heureusement qu’elle est là, elle. Au moins ça fait de la compagnie. Elle ne dit pas grand-chose, mais sa beauté suffit à le combler. Il la regarde. Des pieds à la tête, de la tête aux pieds. Il se demande à quoi elle ressemblera une fois maquillée. Elle a décidément un beau visage. Son corps est rond, il aime beaucoup ça. Sa peau est ferme et délicate. Ses seins sont durs et rebondis. Sa croupe est charnue. Ses jambes sont longues et se terminent par des pieds quelque peu potelés. Il adore ça. Il l’admire. C’est un chef-d’œuvre de la création. Si ce n’est ses cheveux blonds, elle ressemble comme deux gouttes d’eau à l’Olympia de Manet. Qui sait, un jour peut-être sera-t-il aussi reconnu comme un grand artiste.
Comment va-t-on la faire belle en ce jour de fête ? Quels artifices utiliser pour masquer la blancheur de son corps et la rendre plus radieuse qu’elle ne l’est déjà ? Il hésite. Il a le choix. Il sort sa palette et se dirige vers son œuvre. “Quelle est votre couleur préférée ? Le rouge ! Je m’en doutais !”. En effet, ses lèvres ressortent bien plus en rouge. Il l’embrasse. Elle n’a pas de goût, sinon celui de la gouache encore humide. Il crache.
Il est vingt-deux heures sur l’horloge. Il commence à se faire tard. Il va falloir faire vite s’il veut encore rentrer avant le décompte de minuit. Ce serait dommage de manquer ça. Pourtant, personne ne l’attend. Elle, par contre, n’attend que lui. Que ses mains expertes et habiles fassent d’elle la reine de la soirée. Il n’a que ça à faire, pourquoi se presser tout compte fait. Quand on peut jouir de la compagnie d’une jolie femme un soir de Noël, on en profite.
Le fard est discret sur ses fines paupières. Le crayon a laissé un trait presque imperceptible autour de l’œil. Son regard serait sûrement le plus beau qu’il ait vu si seulement elle le regardait. Le fond de teint a couvert discrètement l’albâtre de son front. Le blush fait saillir les pommettes de son visage. Il range la palette. Elle est parfaite.
C’est dommage qu’il faille l’habiller. Son corps nu mériterait mille fois plus d’être exposé. Mais bon, aujourd’hui la décence est de mise. Il lui enfile un pantalon noir, une chemise blanche dont les manchettes de dentelles sont quelque peu jaunies et une légère veste noire. Elle ne bronche pas et se laisse faire avec docilité. Il s’y prend lentement, en douceur, avec le plus profond respect. Elle est magnifique. Il s’approche d’elle et, après un court murmure au creux de son oreille, lui baise le front. Il est froid. Il crache.
Il est presque minuit et tout est silencieux au dehors. Il la regarde une dernière fois avant de s’en aller. Il ne lui souhaitera pas un joyeux Noël. Elle est la plus belle et c’est grâce à lui. Il en est fier. Demain, l’enterrement se passera bien.